Buffon et l’âne
« À considérer cet animal, même avec des yeux attentifs et dans un assez grand détail, il paraît n’être qu’un cheval dégénéré. La parfaite similitude de conformation dans le cerveau, les poumons, l’estomac, le conduit intestinal, le cœur, le foie, les autres viscères, et la grande ressemblance du corps, des jambes, des pieds et du squelette en entier, semblent fonder cette opinion. […]
La ressemblance, tant extérieure qu’intérieure, fût-elle dans quelques animaux encore plus grande qu’elle ne l’est dans le cheval et dans l’âne, ne doit pas nous porter à confondre ces animaux dans la même famille, non plus qu’à leur donner une commune origine ; car s’ils venaient de la même souche, s’ils étaient en effet de la même famille, on pourrait les rapprocher, les allier de nouveau, et défaire avec le temps ce que le temps aurait fait. […] L’âne est donc un âne, et n’est point un cheval dégénéré, un cheval à queue nue ; il n’est ni étranger, ni intrus, ni bâtard ; il a, comme tous les autres animaux, sa famille, son espèce et son rang : son sang est pur, et quoique sa noblesse soit moins illustre, elle est tout aussi bonne, tout aussi ancienne que celle du cheval ; pourquoi donc tant de mépris pour cet animal, si bon, si patient, si sobre, si utile ? Les hommes mépriseraient-ils jusque dans les animaux, ceux qui les servent trop bien et à trop peu de frais ? […]
On ne fait pas attention que l’âne serait par lui-même, et pour nous, le premier, le plus beau, le mieux fait, le plus distingué des animaux, si dans le monde il n’y avait point de cheval ; il est le second au lieu d’être le premier, et par cela seul il semble n’être plus rien: c’est la comparaison qui le dégrade ; on le regarde, on le juge, non pas en lui-même, mais relativement au cheval ; on oublie qu’il est âne, qu’il a toutes les qualités de sa nature, tous les dons attachés à son espèce, et on ne pense qu’à la figure et aux qualités du cheval, qui lui manquent, et qu’il ne doit pas avoir. Il est de son naturel aussi humble, aussi patient, aussi tranquille, que le cheval est fier, ardent, impétueux ; il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châtiments et les coups ; il est sobre, et sur la quantité, et sur la qualité de la nourriture ; il se contente des herbes les plus dures et les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent ; il est fort délicat sur l’eau, il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus: il boit aussi sobrement qu’il mange, et n’enfonce point du tout son nez dans l’eau par la peur que lui fait, dit-on, l’ombre de ses oreilles : comme l’on ne prend pas la peine de l’étriller, il se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère ; et sans se soucier beaucoup de ce qu’on lui fait porter, il se couche pour se rouler toutes les fois qu’il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu’on prend de lui ; car il ne se vautre pas comme le cheval dans la fange et dans l’eau, il craint même de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue ; aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval ; il est susceptible d’éducation, et l’on en a vu d’assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle. […]
L’âne est peut-être de tous les animaux celui qui, relativement à son volume, peut porter les plus grands poids ; et comme il ne coûte presque rien à nourrir, et qu’il ne demande, pour ainsi dire, aucun soin, il est d’une grande utilité à la campagne, au moulin, etc… Il peut aussi servir de monture ; toutes ses allures sont douces, et il bronche moins que le cheval ; on le met souvent à la charrue dans les pays où le terrain est léger […] »
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